De l’émigration à l’immigration

Des centaines de milliers de Suisses sont partis pour trouver fortune sous d’autres cieux. Aujourd’hui, un flot d’étrangers cherche à faire leur vie en Suisse.
01.09.2003 08:30

A Lausanne, une exposition montre comment, en deux siècles, la Suisse a passé de l’émigration à l’immigration.
«Il est beaucoup plus difficile de partir en exil que de rester au pays. Pour traverser l’épreuve de l’émigration, il faut avoir un caractère bien trempé et confiance en soi.»
Ces mots émanent de migrants d’hier et d’aujourd’hui: de gens de Suisse qui, il y a cent ans, ont affronté un long et dangereux voyage pour chercher fortune aux Amériques. De gens qui, aujourd’hui, viennent de loin pour tenter leur chance en Suisse.
Jusqu’au 2 novembre au Musée d’histoire de Lausanne, «De l’immigration à l’émigration 1803-2003, vivre entre deux mondes» compare deux époques et montre qu’elles traduisent le même lot de douleurs et d’épreuves.
Vers l’inconnu
Une exposition en forme de spirale: dans une première salle, les panneaux forment une sorte de journal mural, un patchwork de documents, de photos, de fragments de textes exposés du sol au plafond.
Ils remontent au milieu du 19e siècle: la Suisse manque de travail et donc de pain. En quelques dizaines d’années, quelque 500’000 femmes, hommes et enfants ont traversé la frontière pour affronter un long voyage jusqu’en Argentine, aux Etats-Unis, au Canada. Une aventure vers l’inconnu, à la recherche d’une vie nouvelle.
Le long de la vaste spirale sont dispersées quelques petites chambres sombres, où l’on peut écouter (lues par des acteurs) des lettres d’émigrants suisses à leur famille restée au pays.
Des voix qui, presque en chuchotant, racontent la faim et le froid de la 3e classe sur les grands navires qui assuraient la traversée de l’Atlantique.
Elles décrivent la misère et la désespérance d’échouer en terre étrangère sans rien comprendre de la langue et des mœurs. La douleur d’apprendre le décès d’une épouse ou d’une mère. De l’espoir de se retrouver un jour à la certitude de rester séparés encore longtemps.
L’Amérique, le rêve de beaucoup
Entre la moitié du 19e et la moitié du 20e siècle, 17% de la population tessinoise est partie chercher fortune ailleurs. Une goutte d’eau dans le flot de migrants européens: en cent ans, quelque 55 millions de personnes sont parties, et seules 25% d’entre elles sont rentrées au bercail.
Sur le journal mural, on découvre des choses poignantes, comme ces communes de Suisse centrale qui, honteusement, pour se débarrasser de concitoyens pauvres, leur payait leur billet pour l’Amérique.
Des photos jaunies montrent des visages émaciés et des yeux effrayés, entrecoupées de fragments de journaux intimes et de documents officiels.
Et puis Ellis Island, le lieu où arrivaient et où étaient triés les migrants de l’Amérique. Ainsi que les nombreuses associations helvétiques en terre étasunienne: une myriade de noms, d’histoires, de visages pleins d’espoir et, là, un peu mieux nourris.
Le répertoire aussi des dizaines de localités rebaptisées Berne, Lausanne et Genève au Kansas, en Louisiane et en Floride.
L’intégration par le travail
Ceux d’aujourd’hui, qui se sont échappés d’Afrique ou d’Extrême-Orient pour rejoindre la Confédération, devenue l’un des pays les plus riches de la planète, sont également montrés à travers des voix enregistrées et ces mêmes portraits d’immigrants – un peu trop patinés à notre goût – réalisés par le photographe Erling Mandelmann.
Mais les témoignages sont impétueux, comme celui de l’Algérien Hacène: «Si j’ai bien compris, chez vous, l’intégration passe par le travaille: si on se tue à la tâche, alors on est accepté, même si on n’apprend rien de votre pays. L’important, c’est d’accepter de faire le travail que vous ne voulez pas faire: surtout bien nettoyer. Et que nous ne demandions rien à l’Etat. Là, on est accepté.»
Le silence des murs
Les chercheurs qui ont réalisé l’exposition, Marina Marengo et Claude Muret, ont été frappés par «la similitude des expériences des immigrants d’hier et d’aujourd’hui».
Et pourtant, si le destin des Suisses partis outre-mer est illustré avec une profusion de textes et de photos, c’est avec des parois vides et silencieuses qu’il faudrait montrer les difficultés de ceux qui cherchent une vie nouvelle aujourd’hui en Suisse.
Il n’existe pas de statistiques de l’immigration. Pas plus que des instituts de recherche spécialisés sur ces questions.
Mais cette phrase très dure marque la fin de l’exposition: «La Suisse divise le monde en deux parties inégales, les ressortissants d’Europe et du reste du monde. A ces derniers, il ne reste que l’asile et la clandestinité.»
Ou alors la troisième possibilité, telle que le propose un opuscule de l’Office fédéral des réfugiés, sur un présentoir de l’entrée de l’exposition. Portant le titre: «SwissRepat, aide fédérale au retour», qui permet de renvoyer les «personnes indésirables» chez elles.
C’est une spécialité typiquement suisse, qui a eu les honneurs du Rapport 2003 d’Amnesty International.
swisssinfo, Serena Tinari, Lausanne,
(Traduction: Isabelle Eichenberger)

1 thought on “De l’émigration à l’immigration

Leave a Reply